T. Luginbühl u.a. (Hrsg.): Le sanctuaire gallo-romain du Chasseron

Titel
Le sanctuaire gallo-romain du Chasseron. Découvertes anciennes et fouilles récentes: essai d’analyse d’un lieu de culte d’altitude du Jura vaudois


Herausgeber
Luginbühl, Thierry; Cédric, Cramatte; Jana, Hoznour
Erschienen
Lausanne 2013: Cahiers d'archéologie romande
Anzahl Seiten
426 S.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Michel E. Fuchs

Sommet intrigant, point culminant de la chaîne jurassienne, le Chasseron a livré une partie de ses secrets grâce à des prospections et des fouilles de l’Université de Lausanne entre 2001 et 2005. L’ouvrage qui nous est proposé place les récentes découvertes dans un contexte historique et géographique qui fait comprendre l’attrait de ce mont de 1607 m au-dessus de Bullet et de Sainte-Croix. La découverte de monnaies au milieu du XVIIIe siècle suscite des explorations sauvages, mettant au jour plus d’un millier de monnaies dont seule une centaine a été conservée. En 1897, un hôtel-restaurant est construit, du mobilier est prélevé. Le tout sera publié dans la Revue historique vaudoise en 1913. L’occupation du site est attestée du Ier siècle av. J.-C. au début du VIIe siècle apr. J.-C. Après trois semaines d’un chantier-école sur la terrasse surmontant l’hôtel en 2004, cinq semaines de fouilles sont organisées en 2005 par l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité (IASA), réunissant une cinquantaine d’étudiants sous la direction du professeur Thierry Luginbühl pour l’ouverture et la prospection de cinq secteurs à l’endroit de la terrasse et de ses abords.

Un temple avec sa cella de 9,60 × 10,60m entourait une galerie de 15 × 16m. Plus à l’est, des carriers s’étaient installés dans un bâtiment en matériaux légers. Des tuiles romaines parsèment le site et des monnaies reposent au fond de deux ravins, signe d’une iactatio, d’un jet rituel. Un chapitre sur la géographie et la géologie de la région de Sainte-Croix insère le site dans son évolution pré et protohistorique autant que romaine sans négliger l’impor - tance des axes routiers et des voies d’accès au Chasseron (moins de cinq heures à pied depuis Yverdon). On regrettera la concision de l’aperçu sur la période romaine dans la région, en particulier autour de la question de l’autel de Iulia Festilla conservé dans l’église de Baulmes ou à propos de l’Empire gaulois du troisième quart du IIIe siècle (p. 41). Les chapitres archéologiques sont clairement menés, agrémentés d’encarts et de tableaux facilitant la compréhension du propos spécialisé. Le temple a été bâti sur un affleurement rocheux creusé de cupules naturelles. Malgré le peu de structures dégagées, un fanum de plan classique se dessine, dépourvu de galerie dans un second état. Dans la première phase, les sols devaient être planchéiés. Une fosse cultuelle bordant la galerie a livré nombre d’objets, du couteau aux vases miniatures, de la hachette aux monnaies. À la fin de son utilisation, le centre du temple présente une forte couche de tuiles issues de l’effondrement de la toiture; une fosse de 2,80 × 4,10 m est implantée dans le substrat rocheux; elle restera visible sous la forme d’une dépression. Ne faut-il pas la mettre en relation avec la fréquentation du site au Haut Moyen Âge, attestée par du mobilier? La céramique et la comparaison avec d’autres sanctuaires incitent à dater le premier temple dans le deuxième tiers du Ier siècle apr. J.-C.; les réaménagements se font vraisemblablement au début du IIIe siècle. Une restitution de l’élévation de cette phase a été heureusement tentée. Ensuite, le temple se restreint à sa cella et devait adopter l’appa rence d’une tour. En contrebas et à l’amont du temple, le chalet-hôtel et la station météo ont livré quantité de fragments de tuiles romaines, dont certaines estampillées aux légions XI et XXI stationnées à Vindonissa.

La description des interventions anciennes et l’emplacement des deux sites font pencher pour une interprétation en hospitalia pour le premier, un hospice pour les pèlerins, et en sacrarium pour le second, un dépôt d’offrandes. Les arguments en faveur de ce dernier sont très faibles et la découverte d’un trésor annoncée la veille d’un 1er avril, même dans le très sérieux journal local en 1948, ne laisse à notre avis aucun doute sur le canular. Trois secteurs recelaient des monnaies au bas de falaises que surplombe «l’éperon de la iactatio»; son accès depuis le temple était aménagé. Un important chapitre est consacré au mobilier récolté. La céramique a droit à une approche didactique, utile pour les débutants ou toute personne intéressée à mieux appréhender ce domaine essentiel pour la compréhension de la datation des couches archéologiques. Parmi les objets métalliques, retenons le torque à charnière à base de cuivre trouvé au milieu du XIXe siècle, deux lampes à huile dans le même métal ainsi que des hachettes votives en fer; une dizaine de fibules complètent le lot, datées entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et la fin du Ier siècle apr. J.-C. Trois pointes de projectiles de catapulte et deux talons de lances correspondent à des offrandes de soldats. Des clous de chaussures disent la fréquentation aussi bien de militaires que de civils. Sur les 361monnaies anciennement et récemment répertoriées, 338 sont exploitables, les unes montrant le jet intense de monnaies du Ier siècle depuis l’éperon de la iactatio, les autres le jet de monnaies dans le temple aux Ier et IIe siècles, leur absence au IIIe siècle et leur recrudescence entre 330 et 388 apr. J.-C. Les monnaies les plus présentes dans le temple sont celles d’Auguste alors que celles du pied des falaises sont deux fois plus nombreuses pour l’époque tibérienne (p. 164). Là, les monnaies s’amenuisent à la fin du Ier siècle apr. J.-C. pour ne plus apparaître après Hadrien, alors que les émissions plus tardives se poursuivent dans la zone du fanum. La forte proportion de monnaies tibériennes représentant l’autel de la Providence à Rome incite à penser qu’un choix était fait, peut-être en relation avec la figuration d’un autel alors qu’il en manque un à l’endroit de la iactatio. À noter aussi que les monnaies du IVe siècle se retrouvent surtout dans la cella du temple, jetées depuis l’entrée, comme on l’a observé dans le temple indigène de Martigny. Collier de perles et jetons en verre ont été offerts à la divinité du lieu (p. 220). Les ossements montrent la prédominance du porc, suivi par le boeuf, dont un élément de fémur présente des traces de sciage impliquant un artisanat, la confection d’un meuble pour le sanctuaire.

Malgré les plus de 3000 kg de tuiles répertoriées, elles ne représentent qu’une partie de la couverture; on regrettera dans cette étude primordiale le manque de références à d’autres travaux sur les tuiles romaines. Le neuvième chapitre, interprétatif, satisfait les questions que pose un tel site de hauteur, en commençant par la forme du temple, caractéristique des sanctuaires gallo-romains. La fosse de la fin du IVe siècle creusée dans la couche de tuiles effondrées dans la cella pourrait bien être, selon nous, la trace d’un emploi nouveau du temple dont le sol aura été refait au-dessus du comblement de tuiles, comme on l’a vu à Vallon par exemple. Elle aurait reçu la statue de culte dans ce qui serait alors une favissa, une fosse destinée aux objets cultuels périmés, creusée au cours du changement d’affectation du bâtiment. Un toit a dû recouvrir le nouvel espace, placé plus bas qu’auparavant, peut-être pour faire du fanum une chapelle chrétienne. On s’étonnera de l’usage restreint de l’ouvrage sur la «Topographie sacrée et rituels. Le cas d’Aventicum, capitale des Helvètes» paru en 2008 pour les parties liées à l’interprétation cultuelle et à la présence de vases miniatures (p. 254). Cependant, le rappel des rites romains permet de mieux saisir le développement du culte sur place et ce qu’en dit le matériel trouvé. Malgré un temple de grandes proportions, des rites privés auxquels font penser les offrandes étaient pratiqués à côté des cérémonies publiques (p. 258). «C’est pour y conclure ou y honorer un voeu que les pèlerins montaient au Chasseron» dès 40 apr. J.-C. Plusieurs indices, dont celui de la forte présence de monnaies et le rapprochement avec le sanctuaire du Puy de Dôme, laissent penser que Mercure était la divinité honorée dans le temple. Sa statue aurait porté le torque trouvé au XIXe siècle (une photographie du torque aurait été bienvenue) – la statue de culte de Mercure aurait-elle été si celtique, comme le suggère la restitution hypothétique de l’intérieur de la cella (fig. 9.15), alors que le torque peut tout aussi bien correspondre à une offrande? Des interprétations suggestives sont toutefois données comme celle du delta gravé sur les hachettes votives qui serait une référence au mot Deo/Deae en latin ou Devi/Devai en gaulois pour « (offert) au dieu» ou «à la déesse». En pensant à l’épiclèse de Mercure entre Germanie Supérieure et

Aquitaine, Viducus ou Visucius, «Celui qui sait », «Celui qui voit », l’éminence du Chasseron lui convient parfaitement. Le chapitre 9 cherche d’ailleurs à faire vivre le sanctuaire grâce à tous les aspects suscités par les trouvailles, jusqu’à l’évocation des prêtres et des pèlerins. Ceux-ci devaient être surtout Helvètes, le sanctuaire étant un point de repère depuis le Plateau suisse. L’ethno-archéologie et en particulier la situation népalaise viennent éclairer certains aspects du culte, comme celui de la fréquentation des lieux aux jours de fêtes. Les estampilles de tuiles aux légions XXI et XI de même que les offrandes d’armes de jet laissent envisager la présence d’un détachement militaire sur place. De très intéressantes annexes discutent des sanctuaires de hauteur gallo-romains (annexe III), remettant en cause leur nombre et passant de 200 à 60, dont 41 sont fournis en catalogue. L’utilisation de la monnaie dans les sanctuaires gallo-romains est aussi abordée (annexe IV), avec ce constat autour de la ténuité des indices numismatiques du Haut Empire qui est finalement «l’expression d’une gestion rigoureuse des offrandes des fidèles et l’abondance des frappes tardives, celle d’un dérèglement profond et irrémédiable du tissu religieux gallo-romain». Une approche typologique et structurelle des temples helvètes et rauraques est aussi proposée (annexe V); elle a le mérite de présenter une série de temples gallo-romains à l’échelle et orientés. Les tableaux récapitulatifs et les dessins de restitution d’ambiance dans le sanctuaire soulignent la part pédagogique de l’ouvrage. Entre descriptions attentives et tentatives d’interprétations, le Chasseron a trouvé son panorama.

Zitierweise:
Michel E. Fuchs: Rezension zu: Thierry Luginbühl, Cédric Cramatte, Jana Hoznour (dir.), Le sanctuaire gallo-romain du Chasseron. Découvertes anciennes et fouilles récentes: essai d’analyse d’un lieu de culte d’altitude du Jura vaudois, Lausanne, 2013. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 251-253.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 251-253.

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